Par Julie McLean
enseignante avec le Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario et animatrice avec CNAC
Cet article a été initialement publié sur Child and Nature Alliance. Il est republié ici avec permission.
je joue, tu joues, nous jouons…
Travaillant dans une école publique, on me demande souvent comment je fais pour intégrer un programme d’«école de la nature» au sein d’une école «régulière» suivant un curriculum imposé par la province.
– «Tu veux dire que TOUS les élèves de l’école participent à un programme où le jeu libre en nature est mis de l’avant ? Vraiment ? À chaque semaine ? »
Et oui! Mais comment est-ce possible me direz-vous ? Tout simplement parce que le jeu libre est un véhicule incroyable pour l’apprentissage! Je ne me demande plus comment intégrer les matières mais plutôt comment arriver à documenter tous les apprentissages qui ont lieu! Voici quelques exemples qui permettent de mettre en lumière le lien entre le jeu des enfants et les objectifs prescrits par le curriculum.
Le fort des auteurs
Alors que le froid de novembre commençait à se faire ressentir, les élèves de première année ont eu l’idée de construire un grand fort pour se protéger du froid. Avec des bâches et des cordes, ils travaillaient fort pour créer des constructions qui empêcheraient le vent de venir leur rendre visite. Tout le groupe travaillait ensemble et je pouvais y voir de beaux exemples d’échanges et de collaboration. Puis, du coin de l’oeil, j’aperçois trois garçons qui travaillent sur leur propre construction. Ces trois garçons avaient l’habitude de vouloir grimper les arbres, jouer des jeux de tague ou inventer des jeux qui bougent. J’étais surprise de les voir si concentrés à leur tâche. Je m’approchai doucement pour ne pas briser la magie. Quelle ne fut pas ma surprise d’entendre leur conversation.
« Oui, ça c’est ma chaise. Je vais placer la grosse branche comme ça pour pouvoir être plus confortable. »
« D’accord et moi et S on va s’asseoir ici sur le banc pour écrire. »
Pour écrire ? Les garçons que j’avais devant moi étaient de la trame de ceux qui bougent tellement lorsqu’ils sont en classe qu’ils tombent en bas de leur chaise plusieurs fois par jour. Écrire n’était vraiment pas leur activité préférée! Ou du moins, c’est ce que je croyais. Et voilà qu’ils ont le choix de faire ce qu’ils veulent et ils décident d’écrire ? Je décidai de retourner voir au grand fort de la classe. Quelques minutes plus tard M. vint me voir pour me demander son carnet d’école de la nature, ainsi que celui de ses amis. Je leur donnai avec grand plaisir!
Quelques instants plus tard quand je suis retournée voir ce qu’ils faisaient, j’ai trouvé les trois garçons tous concentrés à leur tâche, cahier et crayon en main.
« Salut les gars, je vois que vous êtes bien concentrés. Est-ce que je peux savoir ce que vous écrivez ? »
– « Des histoires! » s’exclama M.
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« Oui, on veut écrire des aventures qui se passent en nature! Plein d’aventures.. »– « Regarde! On a construit un fort et des chaises pour les auteurs. »
– « Ah ben c’est parfait! Je ne vous dérange pas plus longtemps. J’espère que vous pourrez partager vos histoires avec le groupe lorsqu’elles seront terminées »
Et bien, croyez le ou non, le fort des auteurs perdura pendant quatre à cinq semaines et attira les élèves les plus rébarbatifs face à la lecture et l’écriture. Tous les enfants voulaient leur chance de s’asseoir dans le fort et écrire des histoires d’aventures. Et rien de cela n’avait été prévu. Rien que la magie d’un curriculum qui émerge des intérêts et des jeux des enfants.
L’hôpital
Lors d’une autre session d’école de la nature, les enfants s’étaient placés en équipe afin de construire un grand fort. Lorsque les bâches avaient été montées, ils avaient décidé de prendre des billots de bois et de les apporter à l’intérieur afin de faire des « chaises » et des « lits ». C’était beau de les voir collaborer ensemble pour transporter les billots et discuter pour s’entendre sur l’aménagement du fort. Soudain, une petite fille, qui était restée en retrait, trébucha sur une branche en tentant de venir rejoindre le groupe. Lorsque je me suis approchée pour aller l’aider, elle me dit :
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« Mme, je pense que mon bras est cassé, peux-tu m’apporter à l’hôpital pour me faire un plâtre ? » en pointant le fort.
J’ai marché avec elle vers le fort et je lui ai demandé d’expliquer aux autres enfants qu’elle avait besoin d’un plâtre parce que son bras était « cassé ».
Il n’en fallu pas plus pour qu’un jeu se développe autour de « l’hôpital ». Tous les élèves se mirent à avoir des « blessures ». L’un avait mal au pied, l’autre à la main, l’autre au ventre. Les élèves avaient commencé à prendre des bouts de tissu pour faire des attelles et des plâtres, mais ils se rendirent vite compte qu’il n’y aurait pas assez de tissu pour toutes les blessures. Ils décidèrent donc de « trier » leurs malades.
Tout à coup, je vois une élève prendre un tableau et une craie et commencer à faire un tableau d’effectifs pour l’aider à savoir combien il y avait de blessures de chaque type. Elle accrocha le tableau sur les murs de l’hôpital et continua de le remplir à chaque nouveau patient. Une autre enfant a ensuite eu l’idée d’utiliser le tableau des effectifs pour trier les bouts de tissu. Les plus grands par ci, les moyens par là et les petits ici. À l’aide du tableau d’effectifs elle comptait pour s’assurer qu’elle avait assez de bouts de tissu pour chaque type de blessure. Ce n’était pourtant pas tous les enfants qui comprenaient son système. Ils voulaient l’aider mais ne savaient pas comment trier les bouts de tissu. C’est alors que j’ai décidé d’intervenir pour lui demander comment on pourrait trouver un système pour mieux les trier. Les enfants décidèrent donc de prendre trois branches de différentes grandeurs afin de les aider à mesurer les tissus. Les « docteurs » prirent ensuite les branches pour mesurer les blessures des patients pour savoir de quelle grandeur était le tissu dont ils avaient besoin. Ce jeu dura pendant quelques semaines alors que plusieurs enfants retournaient spontanément à l’hôpital à chaque nouvelle session.
Tant d’apprentissages mathématiques nous avons pu réalisés avec un « simple jeu ». Quand je suis sortie dehors ce matin là, par un froid humide de novembre, je n’aurais pu prévoir que des enfants de 6-7 ans se seraient organisés de la sorte et auraient mis à profit autant de connaissances mathématiques, et le tout, sans même s’en rendre compte, puisqu’ils ne faisaient que jouer.