Nature pour tous intervient aussi en prison
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Par Benoît Vignet
En 2018, le projet Nature pour tous de Natagora, en Belgique, a commencé ses interventions en milieu carcéral, et notamment l’aménagement d’espaces extérieurs naturels à la disposition des détenus, au sein des établissements de Saint-Hubert et de Paifve. Des réalisations qui sont aujourd’hui des lieux de détente et des supports d’animations.
Depuis 2005, l’objectif de Nature pour tous est de rendre la nature accessible aux personnes touchées par un handicap, ainsi qu’à des publics marginalisés ou peu familiers avec elle. En 2018, Jean-Claude Carpentier, directeur du centre de détention de Saint-Hubert, fait appel à l’équipe pour réaliser des animations nature dans la prison. « On a vu alors qu’un premier aménagement des extérieurs était possible, explique Pierre-Yves Wilmart, qui a coordonné le projet pour Natagora. L’établissement possède en effet une immense friche qui est déjà, en soi, un terrain naturel. Nous avons donc proposé d’installer une petite mare. » Ensuite, une prairie fleurie a été semée et un abri à faune sauvage installé. « Pour le reste, d’un point de vue nature, tout était déjà là ! »
7 000 m² de jardin naturel
Une première expérience qui permet à l’équipe de continuer sur sa lancée en 2020, cette fois au sein de l’Établissement de défense sociale (EDS) de Paifve qui compte 6 ha de terrain extérieur et dont Jean-Claude Carpentier a repris la direction en 2019. « En arrivant à Paifve, raconte le nouveau directeur, j’ai vu l’importance de l’infrastructure extérieure inutilisée, ce que j’ai trouvé scandaleux, surtout dans le cas d’une population internée de personnes précarisées. Ces terrains étaient pour moi le moyen de sortir les internés des pavillons. » Il recontacte donc Nature pour tous avec un objectif : développer une politique thérapeutique à l’aide d’un jardin naturel. « Nous savions que ce genre d’expérience donnait de bons résultats », ajoute-t-il.
7 000 m² de jardin naturel sont donc aménagés. À l’EDS de Paifve, le régime d’incarcération se situe à mi-chemin entre un régime pénitentiaire typique et la vie dans un hôpital psychiatrique. Le personnel de l’établissement n’est donc pas uniquement pénitentiaire et compte également une équipe éducative. C’est avec elle que Nature pour tous a développé le projet.
L’aménagement du terrain a pris douze jours et a mobilisé, chaque session, de cinq à dix personnes. Au total, une cinquantaine de patients (sur deux cents que compte l’EDS) ont participé. Dès le départ, l’objectif de l’équipe éducative était d’amener un maximum de patients au jardin.
Lys Junior, un patient, a participé aux aménagements et en garde de bons souvenirs : « On participait chacun à notre tour, quand c’était possible. J’ai ainsi pu travailler trois fois sur le projet. C’était l’occasion de changer de l’habitude, d’être en plein air, de faire du travail manuel. C’était aussi une découverte de la nature. »
Former l’équipe éducative
Dès le départ, le jardin est prévu pour avoir une place plus importante que celle de simple support d’animations autour de la biodiversité. L’équipe éducative explique : « Nous voulions un endroit où se promener, manger, discuter… Il va servir au quotidien dans la vie de l’établissement. Il y aussi une zone tondue, une zone de loisir pour permettre de se poser. » Et d’installer, dès les beaux jours, les tables et chaises d’extérieur fabriquées sur place par les patients, avec l’aide de Nature pour tous et le soutien technique de l’asbl DIY Consult.
La suite est d’ores et déjà prévue : « Nature pour tous va former le personnel éducatif à l’animation nature », explique Pierre-Yves. Jean-Claude Carpentier complète : « Un recrutement de personnel est en cours pour pouvoir développer l’accompagnement des patients dans ce sens, et notamment évoluer vers des activités plus fréquentes en extérieur. »
Lys Junior, lui, se projette déjà : « Pour l’instant, le temps n’est pas beau, alors on n’en profite pas encore. Mais cet été, je serais content de voir l’évolution. Et dans cinq ans, je ne serai sans doute plus là, mais je reviendrai déguster les fruits ! »
Céline Schmitz, assistante administrative à l’EDS de Paifve
« Administrative à la Justice depuis 2010, je venais de me lancer en parallèle dans une formation « espaces verts » lorsque le projet de zone naturelle a été initié à l’EDS. C’est donc grâce à un peu de hasard et beaucoup de chance que j’ai eu l’occasion de combiner les deux domaines en effectuant mon stage de formation sur notre terrain, avec Nature pour tous. Ce fut l’occasion de découvrir et d’apprendre énormément de choses utiles à mon projet jardinage, en adéquation avec mes valeurs (et de rencontrer des personnes géniales !). Et pour l’EDS, avoir une personne-relais sur place pour suivre le jardin au quotidien a permis d’en dynamiser le démarrage et l’évolution, je pense. J’ai maintenant terminé mes heures de stage, mais je continue à suivre le projet, et je descends sur le terrain dès que je le peux, pour vérifier si tout va bien ! » |
Un jardin labellisé Réseau Nature
À l’EDS de Paifve, les 7 000 m² de terrain ont d’abord été fraisés pour laisser germer les graines présentes, avec un bon résultat. Ensuite, une mare a été creusée et une prairie fleurie ensemencée. Les graines ont été sélectionnées par Écosem, une société spécialisée dans la production de semences et de plantes indigènes d’origine contrôlée. Des fruitiers haute tige ont été plantés : pommiers, poirier, néflier, cerisiers ou noisetiers, ainsi qu’une haie de petits fruitiers (groseillier, cassissier, framboisier) dont les patients pourront profiter plus facilement. Une ponte de grenouilles rousses, récupérée dans un plan d’eau condamné, a été transférée par Natagora, après autorisation. Quelques plantes aquatiques ont été installées dans la mare pour les protéger. Aujourd’hui, les aménagements ne sont pas terminés, et Nature pour tous reviendra faire de nouvelles plantations, installer une spirale aromatique, un ponton sur la mare, des abris à faune sauvage et des perchoirs à rapaces. Mais d’ores et déjà, le terrain bénéficie du label Réseau Nature. Un héron de passage y a été aperçu, ainsi qu’un faucon en chasse, perché sur la pointe d’un fruitier. |